. Il est bien évidemment intéressant de noter que dans ce court-métrage est déjà développé un thème cher à Benh Zeitkin et que l'on retrouve dans Beasts of the Southern Wild : "Homo homini lupus = l'homme est un loup pour l'homme". Bien avant lui Hobbes ou bien encore Plaute l'avaient dénoncé. L'homme se sert de son intelligence et de ses découvertes non pas pour le bonheur de tous mais par orgueil et cupidité, et pour le malheur du plus grand nombre.
A la projection du film nous reviennent en mémoire l'ouragan Katrina, les terribles inondations en Louisiane, ces problèmes de digues sujets à polémiques, et toutes ces personnes qui ne voulaient pas quitter leur domicile inondé parce que c'était tout ce qu'elles possédaient. Benh Zeitkin prend appui sur ces événements et imagine un groupe d'alternatifs idéalistes qui refusent de se soumettre aux valeurs de la société soi-disant civilisée, et vit dans le bayou, isolé du reste du monde par une digue, et en proie aux tempêtes. Autonomie, liberté, vie saine (même si bien alcoolisée) en communion avec la nature : voilà leurs valeurs. Pas de travail hormis celui de loger, nourrir sa famille, éduquer ses enfants à la survie et au partage, et venir en aide à ses voisins. La caméra à l'épaule, munie d'une pellicule dont on voit le grain, le réalisateur a choisi de nous faire vivre de l'intérieur cette vie en marge, à travers le point de vue d'une petite fille (la caméra demeure à sa hauteur), Hushpuppy, qui n'a pas choisi de vivre dans ces conditions, orpheline de mère, et dont le père alcoolique est plus que rude. On découvre peu à peu, comme elle, qu'il souhaite qu'elle lui survive tout en lui transmettant au plus vite (le temps manque) les vraies valeurs sans jamais s'apitoyer sur son sort.
Cette relation particulière entre un père idéaliste et sa fille n'est pas sans nous faire penser à un autre film qui nous a marqués à sa sortie en 2006, The ballad of Jack and Rose de Rebecca Miller, où Jack et sa fille Rose sont les seuls désormais à vivre sur une île déserte, ancienne communauté hippie dont seul Jack poursuit le mode de vie 20 ans après. Jack veut préserver sa fille des vices du monde contemporain en lui prouvant quotidiennement que l'on peut mettre à profit son intelligence pour faire en sorte de ne dépendre de personne, tout en respectant les êtres et la nature.
Dans Beasts of the Southern Wild, Benh Zeitkin nous montre des êtres quasi réduits à l'état de "bons sauvages". Là, la science n'est pas de mise, mais une incontestable communion avec la nature. Ainsi, Hushpuppy, palpe-t-elle la vie de tout être vivant jusqu'à entendre son coeur battant. Tandis que notre génération met sans cesse son portable à l'oreille, elle, c'est le corps palpitant d'un oiseau.
La contemplation de la nature, des insectes, des animaux, du flot de poissons et crustacés que peut offrir la nature qui, si elle n'est pas mal traitée, devient corne d'abondance, la vision des glaciers s'écroulant, conséquence de l'inconséquence humaine, tous ces plans semblent tout droit inspirés (sans en atteindre toutefois la performance esthétique) de ceux de Terrence Malick, jusqu'à celui des particules dans l'air d'une eau en ébullition, véritables madeleines de Proust, réminiscences du souvenir ému d'une mère disparue. Rappelons-nous dans The Tree of life, de cet instant de cinéma merveilleusement lumineux du souvenir de la mère aimante et chaleureuse, en communion avec la nature, jouant pieds nus dans le gazon avec un papillon et les gouttelettes d'un jet d'eau...
Pourquoi ce surnom de "Hushpuppy" ? Petits beignets de poisson frits... en souvenir de cette mère si bonne cuisinière d'alligator, qui par sa seule beauté pouvait faire flamber tout ce qu'elle frôlait...
La chaleur maternelle, phare lumineux qui donne la force d'avancer, indispensable à la survie...
Les aurochs représentent allégoriquement le destin funeste vers lequel nous nous dirigeons si nous ne prenons pas soin de notre planète comme Ang Lee représente dans Life of Pi l'humanité vorace par la hyène et ce que l'on doit dompter en chacun de nous par un tigre...